Pourquoi le journal Tintin n’a jamais été publié au Japon
Pourquoi le journal Tintin, malgré des éditions partout dans le monde, n’a jamais été publié au Japon, une anecdote confiée par un certain Jo-El Azara.
Dans les années 50–60 ce jeune auteur belge livre ses planches chez Tintin, journal et BD, car il travaille au Studio Hergé le temps de quelques albums. Et comme Tintin, avouons-le, ça marche plutôt bien, l’éditeur du journal vend ses droits à l’étranger dans de nombreux pays. De part le monde, des lecteurs découvrent donc toutes les séries publiées dans le magazine. Toutes ? Oui, toutes. Car l’éditeur a une politique du tout ou rien : il ne laisse pas à ses acheteurs la latitude de refuser telle ou telle série afin de ne pas léser les auteurs. Une façon ma foi fort honorable de vendre son catalogue et de promouvoir des bédéistes dans le monde entier.
Jusqu’ici tout va bien, les séries du journal Tintin sont lues un peu partout dans le monde. Mais pas encore au Japon, tiens. La date exacte n’a pas été mentionnée, mais c’est après 1965. Les négociations se font avec un éditeur nippon. SAUF QUE. Dans les pages de Tintin, à cette époque, il y a un p’tit bonhomme myope comme une taupe, avec des grosses lunettes et deux dents en avant. Ce gusse, il s’appelle Taka Takata, et il fait la couverture.
Ce n’est pas sa dégaine d’asiatique clichetonante qui pose problème. Certes, c’est caricatural, mais bon, ça passerait si ce type là, sa myopie carabinée et ses deux mains gauches n’étaient pas en train de piloter un avion. Un avion de l’armée. Au Japon. Dans un uniforme de l’armée. Du Japon. En clair, s’il ne se payait pas la tronche de l’armée impériale japonaise. Parce que c’est pas tendre avec les militaires, et pour cause, l’auteur a créé le personnage après avoir fini son service. Spoiler : il aimait pas ça. Spoiler bis : le supérieur à moustache et à monocle qui se fait taper sur la caboche sur la couv de tantôt, c’est une caricature d’instructeur. Belge.
Il faut dire que se payer la tronche de l’armée belge, ou même française, ou de n’importe quel autre voisin, à peine 20 ans après la guerre, c’est pas possible. D’où le transfert au Japon, et tant pis si l’ancien empire n’a plus d’armée régulière, au moins ça ne ferait pas d’embrouilles à la publication... JUSQU’AU JOUR OÙ ! Jusqu’au jour où, donc, un éditeur japonais, voyant les séries du journal Tintin, dit : « Rien. »
Rien, pour Taka Takata.
Rien, parce qu’on se paye la tronche de l’armée impériale japonaise.
La faute à qui, donc ? A ce cher Jo-El Azara, qui raconte ça, tout sourire, en 2016, tout en dessinant un Taka Takata sur un de ses albums. Il n’a pas l’air de regretter grand chose. Et il a bien raison, c’est une histoire très rigolote à raconter, à écouter, et à transmettre. Bref, si jamais vous passez dans un festival BD du sud-ouest de la France et que vous voyez un certain Azara invité, allez donc le voir. Il a réédité lui-même ses 12 albums de Taka Takata, une série que l’on pourrait croire désuète, mais pourtant née d’une joyeuse rébellion. Il ne me reste maintenant plus qu'à mettre ça dans les mains d’amis japonais, pour comparer leur réactions de lecteurs face à celles d’éditeurs du siècle dernier.